Compte-rendu Éthique #5

Dans la solidarité des champs : création jeune public et travail social, c’est coton !

Le vendredi 23 septembre 2022, Le Totem, Scène conventionnée “Art, enfance et jeunesse” et le festival « C’est pas du Luxe ! » accueillaient le 5ème rendez-vous « Éthique…et toc ! » de Scènes d’enfance – ASSITEJ France, organisé en partenariat avec la Plateforme Jeune Public Génération Belle Saison en PACA.

Entre rencontres et témoignages, ce rendez-vous avait pour fil rouge la question de la diversité sociale et de l’engagement des artistes, des structures et de tous les acteurs du spectacle vivant auprès de publics en situation de précarité, véritable enjeu d’actualité.

La journée fut marquée par trois temps forts :

  • Une matinée à l’écoute des acteurs sociaux et culturels (organisée au Totem, Scène conventionnée Art, enfance et jeunesse). Des témoignages autour de projets artistiques, menés avec des jeunes accueillis au sein des structures de la solidarité et du travail de médiation sociale au sein des structures culturelles.
  • Un après-midi de déambulation dans la ville d’Avignon, à la rencontre des artistes du festival « C’est pas du Luxe ! ».
  • En guise de conclusion, un temps de partage et de mise en commun.

La réalisation du compte rendu de la journée a été confiée à Judith Caceres, Doctorante en Sciences de l’information et de la communication (Avignon Université).

 


Une matinée à l’écoute des acteurs sociaux et culturels 

 Accueillis par Le Totem, la journée a débuté par la projection du film d’animation « Merveilleux », un film réalisé et produit par Garrimawdi, Gringo Production et Emmaüs Habitat Noisy-le-Grand. Ce dernier, pensé et fabriqué par des enfants de 9 à 13 ans originaires de Noisy-le-Grand, symbolisait d’une belle manière l’introduction de la journée, et plus encore de la matinée. Celle-ci, consacrée aux acteurs culturels et sociaux venus témoigner, était animée par Didier Le Corre, bénévole retraité de la formation Abbé Pierre, ancien directeur de la Garance – Scène nationale de Cavaillon et co-fondateur de « C’est pas du luxe ! ».

Introduction de la journée par Didier Le Corre

Didier Le Corre a ouvert la réflexion avec un rappel dit important de l’article 13 du Préambule de la Constitution de 1946.  Ce dernier dispose (en partie) que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».  Puis, en reprenant les mots de Mylène Bidault et Patrice Meyer-Bisch, Didier Le Corre a évoqué les Droits Culturels et la Déclaration de Fribourg de 2007 dont l’objectif est de garantir les droits et libertés de toute personne, aussi bien seule qu’en commun, de choisir et d’exprimer son identité et d’accéder aux références culturelles nécessaires à son processus d’identification, de communication et de création (Meyer-Bisch et Bidault, 2010).  Ensuite, de rappeler que les enfants sont titulaires des droits humains au même titre que les adultes. Il s’agit donc de protéger leurs droits, dans et en dehors du groupe, d’assurer la transmission des patrimoines et des savoirs, tout en libérant l’esprit critique et la créativité. De ce fait, penser les droits culturels des enfants amène à ne pas considérer l’enfant comme sujet mais comme véritable acteur.

Ces rappels ne sont pas anodins, les documents dont ils proviennent régissent le travail des structures culturelles en contrat avec l’État. Ce dernier, en favorisant l’accès à la culture pour tous, s’appuie sur une conception de Démocratie Culturelle et offre donc, la plus grande liberté aux citoyens dans le choix de ces pratiques.

Mais une fois cela-dit, qu’en est-il réellement ?

Malgré les efforts et les engagements des structures et artistes dans la mise en œuvre d’actions culturelles diverses (telles que la mise en place des parcours d’Éducation Artistique et Culturelle), force est de reconnaître que, de fait, de nombreux individus, enfants et adolescents, sont exclus de ces parcours. En effet, absents des parcours classiques de l’Éducation Nationale, c’est dans le cercle familial, dans leur habitat, et donc dans les structures sociales qu’il sera possible de retrouver ces individus oubliés. Ainsi, se justifie l’importance de réfléchir ensemble aux relations entre secteur social et secteur culturel, de rendre compte des réussites et des difficultés rencontrées.

L’objectif est commun : travailler à l’émancipation de l’individu. Les difficultés sont nombreuses, impossible à lister, toutefois Didier Le Corre en constate une : la méconnaissance évidente des secteurs d’activité de chacun. En effet, pense-t-il, pour qu’un partenariat réussisse, chaque partenaire devrait travailler à la réussite du projet de l’autre, ainsi, cela sous-entend, prendre le temps de la rencontre et de l’écoute de façon à pouvoir maîtriser et mieux appréhender les contextes dans lesquels chacun évolue.

Et pour conclure l’introduction de la matinée, Didier Le Corre insiste, il est crucial de réfléchir ensemble sur la façon de concevoir des projets et comment ensemble on les inscrit dans le temps.

Le système culturel est arrivé au bout d’un processus, il y a donc urgence à le repenser, ensemble.

Témoignages autour des projets :

Le projet Démos Avignon Provence - dispositif d’Éducation Musicale et Orchestrale à vocation Sociale, Avignon

Dispositif présenté par :

  • Isabelle Ronzier, coordinatrice Territoriale du projet
  • Olivia Lemonnier, Responsable du Pôle Enfance de l’ASLC – Centre Social d’Orel (Avignon), coordinatrice sociale du projet
  • Gilles Delebarre, ethnomusicologue, Directeur adjoint du Département éducation de la Philharmonie de Paris, fondateur et délégué du projet

Le Projet « Démos Avignon Provence » est un dispositif d’Éducation Musicale et Orchestrale à la vocation sociale. Sont venus témoigner, Gilles Delebarre, ethnomusicologue, Directeur adjoint du Département éducation de la Philharmonie de Paris, fondateur et délégué du projet ; Isabelle Ronzier, coordinatrice Territoriale du projet ; et enfin Olivia Lemonnier, Responsable du Pôle Enfance de l’ASLC – Centre Social d’Orel (Avignon), coordinatrice sociale du projet.

Chargé en symboles, le projet « Démos » est porteur de sens, et montre qu’il est une arme efficace pour lutter contre le « eux » et le « nous », contre ce fameux « ce n’est pas pour moi ». Démos, pour Isabelle Ronzier est le reflet d’une utopie réaliste, il ravit les familles et les enfants, et montre l’importance de la coopération professionnelle entre secteurs culturel et social.

En savoir plus sur le projet Démos.

Bâtisseurs de rêves – Théâtre Le Sémaphore Port-de-Bouc/ Compagnie Lézards Bleus

Témoignages de :

  • Fanny Girod, relation avec les publics et actions culturelles du Théâtre Le Sémaphore de Port-de-Bouc (13)
  • Séverine Gros, administratrice et médiatrice de la Compagnie Lézards Bleus

Un projet qui consiste dans sa forme la plus régulière en la découverte de la pratique de la danse de façade, en milieu urbain, aux côtés d’Antoine Le Menestrel, porté par le théâtre Le Sémaphore à Port-de-Bouc et par la Compagnie Lézards Bleus. Fanny Girod, responsable des relations avec les publics et actions culturelles du Théâtre et Séverine Gros, administratrice et médiatrice de la Compagnie Lézards Bleus sont venues partager leurs expériences.

« Bâtisseurs de rêves » a pour ambition de faire découvrir un art à travers la pratique d’un artiste. Valeur motrice du projet : le partage. Ici, « on n’acquiert pas une pratique, on partage ». En effet, bien au-delà du savoir-faire, ce projet se répercute sur le savoir-être.  En résulte un changement de point de vue. Et parce que le projet est visible et qu’il s’ancre (par moments) dans le cœur de leur quartier, le projet touche aussi les autres habitants (ceux en pieds d’immeubles, ceux à leurs fenêtres) : les regards se transforment.

Toutefois, les témoignages révèlent des difficultés, dont celle (parce que les jeunes s’inscrivent par leurs propres choix, par leurs propres désirs) de mobiliser les groupes. Le projet rencontre une réelle difficulté à les impliquer eux et leur famille. Ainsi, les groupes sont assez fluctuants. A contrario, l’implication des partenaires est très forte. En effet, l’encadrement nécessite beaucoup de temps, une mobilisation les week-end, pendant les vacances ou encore les soirées.

Découvrir le projet des Bâtisseurs de rêves 

Vous dansez – Bal participatif, partenariat entre La Maison d’enfants (ASE) et la Pension de Famille
Témoignages de :

  • Nathalie Besson, coordinatrice Pension de Famille Lumière et vie
  • Laurent Granero, habitant de la pension de Famille

« Vous dansez » est un bal participatif entre La maison d’enfants (ASE) et la Pension de Famille. Sont venus témoigner : Nathalie Besson, coordinatrice de la Pension de Famille « Lumière et vie » et Laurent Granero, habitant de la Pension de Famille.

La force de ce projet est de rassembler des générations bien différentes. Son ambition est de faire avancer, d’ouvrir les yeux sur un public. Un projet difficile à mener, en effet, faire comprendre que le projet artistique a du sens est complexe. Convaincre les éducateurs était difficile. Toutefois, à ce jour, le projet est une réussite, en témoigne Laurent Granero, participant du projet. La rencontre était productive à la fois pour eux, les habitants de la Pension de Famille, mais aussi pour les jeunes. Au fil du temps, ils ont appris à se connaître et un constat est né : les difficultés des uns et des autres sont différentes, tout en se rejoignant : on a tous des points communs.

Une rencontre dite bouleversante. La danse, par la rencontre des corps, a permis d’unir deux mondes, deux générations. Laurent insiste : « nous, on les a faits venir et eux nous ont entraînés ». En effet, les jeunes sont de très bons danseurs, ils ont permis d’entrainer ces corps abimés. Un témoignage qui n’oublie pas non plus, le poids et l’importance des artistes : « les artistes nous tirent vers le haut » conclut Laurent Granero.

Un témoignage émouvant qui rappelle que ces projets sont des mains tendues (pour grandir, pour s’évoluer).

Ailleurs, Ailleurs – Compagnie Les ateliers du Lieu – Le Lieu, Mulhouse

Témoignages croisés de Sébastien Castells, directeur et Fondateur de l’Association Le Lieu, professeur de théâtre, formateur vacataire au sein d’Institut de Formation du Secteur Sanitaire et social et d’une partie des jeunes acteurs du projet.

Le projet « Ailleurs, ailleurs » est une pièce de théâtre portée par la compagnie « Les ateliers du lieu », au « Lieu » à Mulhouse. Sébastien Castells, directeur et fondateur de l’Association « Le lieu » et professeur de théâtre est venu accompagné des jeunes comédiens, Lucas, Gwen et Agatha.

Issu des quartiers populaires de Montpellier, Sébastien Castells par une rencontre est tombé dans théâtre et a découvert le théâtre de l’opprimé. Par la suite, il a fondé la troupe du Scrupule. Il s’est consacré aux exclus, à ces jeunes aux parcours complexe, et témoigne très vite de la difficulté à trouver des financements, chaque secteur se renvoie la balle : d’une part considérée comme un projet culturel par le social, et vice versa d’autre part.

Par la suite, il a fondé « Le Lieu » dont l’ambition est d’aller à la rencontre de « ces jeunes » dont on n’a plus de nouvelles et son levier d’action : les projets artistiques. L’objectif, leur proposer de vivre une aventure collective : Ailleurs, ailleurs.

Travailler avec ces jeunes aux parcours divers et complexes demande d’établir un cadre souple. Le modèle dit « Barbapapa ». Cela demande de s’adapter : accepter les changements, accepter que des jeunes quittent le projet, qu’ils soient absents par moment. Véritable défi, le projet devient un pari, en témoignent Lucas, Gwen et Agatha pour qui l’adaptation est compliquée, « on a tous des parcours différents, certains sont scolarisés, d’autres non ». La bonne entente n’est pas certaine, difficile d’apprendre à se connaître « on se connait plus en tant que personnage qu’en tant que nous » mais le projet devient plus important que l’individu, le bien commun au final devient plus important.

Ainsi, à travers ces témoignages, la notion de souplesse parait essentielle, pas simple à mettre en place mais mérite d’y réfléchir. Et d’ailleurs, Didier Le Corre en réaction, pour le mot de la fin, se met « à rêver à plus de processus « Barbapapa » dans plus de structures ».

En savoir plus sur Le Lieu.

Festival 'C’est pas du luxe !'

Pour conclure cette matinée, c’est Sibylle Arlet, responsable du projet « C’est pas du luxe ! » – Fondation Abbé Pierre qui est venue témoigner.

Créé en 2012 par plusieurs structures : Abbé Pierre, Le Village à Cavaillon, et la Garance – Scène nationale ; le festival est depuis 2018 ancré à Avignon. La création de ce dernier est partie d’un constat : il y a de nombreux projets (menés par de multiples structures), ainsi, l’envie de présenter un festival qui présente tous ces projets. L’ambition : changer les regards, se regarder les uns et autres différemment et offrir une expérience artistique collective.

Chacun et chacune sont conviés, peu importe sa situation de vie, au festival où plus de 60 projets prennent vie dans la ville d’Avignon, et invitent à rencontrer l’autre.

En effet, l’enjeu est primordial, il faut aider la rencontre entre structure sociales et structures culturelles, parfois victimes d’une mauvaise appréhension. En effet, pousser la porte d’un théâtre (ou autre) peut faire peur…

En savoir plus sur C’est pas du luxe !

Déambulation dans la ville d’Avignon : à la rencontre des artistes du festival « C’est pas du Luxe ! » 

Séparés en deux groupes, les participants de cette journée sont partis à la rencontre de la ville d’Avignon et de certains artistes du festival « C’est pas du luxe ». Tout en posant leurs regards sur les multiples expositions, ils avaient pour consigne de s’interroger sur les ingrédients nécessaires pour réussir un projet.

 


L’exposition Identités – Cie Anteprima, Paulina Fuentès et Antonella Amirante

Dans un lieu symbolique d’Avignon, à la Maison Jean Vilar, « Identités » propose en mots et en image à travers la métaphore du textile, de révéler chacun dans un tissu. Les participants choisissent un textile qui les représente. Puis, avec des auteurs ils travaillent un texte sur leur identité, et enfin, un photographe professionnel les photographie avec leur tissu. Ainsi, à travers 120 portraits, les spectateurs rencontrent de multiples identités.

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Projet radiophonique « Une histoire vraie » – Sara Louis

« Une histoire vraie » est une fiction sonore dans laquelle un groupe de jeunes interroge l’art de la représentation : comment se construisent les histoires ?

Une fiction sonore qui nous amène dans la cour de la Maison Jean Vilar à la rencontre des histoires et surtout à l’écoute des jeunes.

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Dessine-moi une affiche

Parti à la rencontre des graphistes du festival, le groupe a participé à l’atelier proposé : « Dessine-moi une affiche ».

Un atelier qui propose de s’essayer aux arts graphiques sur les magnifiques fonds d’affiche du festival. Un atelier pour s’exprimer et qui permet de faire rayonner les valeurs de « C’est pas du Luxe !»

Exposition Mètres carrés

Dans l’Église des Célestins, on nous confie un mètre carré. Chacun imagine son mètre carré idéal, le tout réuni dans une installation monumentale. Les participants sont libres, sans limite, ils sont propriétaires le temps de l’installation de leur espace, un bien si précieux, un bien si vital.

 

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Conclusion : Moment de partage et mise en commun

Pour conclure cette journée, les participants ont été réunis au Temple Saint-Martial, pour un atelier participatif.
L’ambition de ce moment : partager les ressentis et ouvrir des pistes de réflexion.  En effet, par petits groupes, les participants devaient donner les 3 ingrédients essentiels pour réussir un projet artistique avec un public jeunes issus de différents milieux. À l’aune de cette journée, un mot est revenu dans tous les groupes, le mot « souplesse ». Ainsi, la méthode dite « Barbapapa » a plu, toutefois, les échanges montrent que cette méthode ne peut fonctionner que si un cadre s’impose, soit par le lieu, par l’espace implanté, soit par le projet lui-même. De plus, ce moment d’échange appuie l’importance de l’accompagnement. Les processus sont importants, les chemins sont parfois plus importants que les arrivées. De ce fait, l’ingrédient ultime serait le temps. Prendre le temps de faire est essentiel, il faut accepter de se donner du temps.

Enfin, la patience et la bienveillance paraissent essentielles pour la connivence entre artistes et publics visés par le projet, entre structures culturelles et structures sociales. La profusion des projets présentés au festival « C’est pas du Luxe ! » se résume être encourageante, elle donne envie de poursuivre, de continuer de faire « ensemble ».

Liste des ingrédients : 

Souplesse /Adaptabilité / Accepter le goutte à goutte / Barbapapa / Confiance / Rencontre / Aller vers / Inter-connaissance / Ecoute / Partage / Artiste / Aller de l’intime à la fiction / Se donner du temps / Travailler sur un temps long.