L’espoir est une piste de miettes de pain, par Finegan Kruckemeyer

13 avril 2022
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Régulièrement, nous vous proposons la traduction d’un texte étranger ayant retenu notre intérêt. Ce mois-ci, un grand auteur de théâtre pour le jeune public compare l’écriture d’histoires pour enfants à un voyage à travers l’inconnu qui nous rend vigilant·es et nous éveille mais qui doit rester plein d’incertitudes.

Traduction de Claire Latarget et Karin Serres

Une version de ce texte a été lue à voix haute lors du Festival Imaginate 2019 à Edinburgh.

“Quand je me suis assis pour rédiger cette causerie, j’ai décidé plutôt arbitrairement de l’intituler “L’espoir est une piste de miettes de pain” – en clin d’œil à une image-clé du folklore qui m’inspirait et dont les conflits sont au cœur de tant de spectacles de théâtre jeune public contemporain.

Mais très vite après avoir choisi ce titre, j’ai réalisé son problème inhérent – cette métaphore est piégeuse, parce qu’elle évoque en fait deux choses opposées.

Nous utilisons parfois cette image pour évoquer une solution, parce qu’Hansel a semé les miettes de pain pour tracer un lien entre le point A et le point B – entre être perdu dans la toundra et retrouver la chaleur de sa maison : “J’ai laissé une piste semée de miettes de pain !

D’autres fois, au contraire, nous l’utilisons pour évoquer une frustration, parce que les oiseaux ont mangé ces miettes de pain. Parce que la logique du garçon était bancale et parce que d’un coup, la distance (entre les bois sombres et anonymes et la fenêtre chaude et rassurante de la maisonnette aperçue après un long voyage) est devenue d’autant plus grande : “J’ai laissé une piste semée de miettes de pain…

Et là, très vite après avoir réalisé ce problème – une analogie fumeuse, alors que j’en voulais une claire – j’ai réalisé qu’en fait, ce dilemme était parfaitement judicieux, et donc pertinent.

La piste de miettes de pain est un réconfort pour le frère et la sœur abandonnés. Quand tout va mal, à l’instant où ils pressentent que ce voyage dans cette forêt est chargé de forces obscures, les miettes de pain offrent un sauvetage possible. Pas garanti – possible.

On oublie souvent que dans le chapitre précédent de cette histoire si connue, Hansel met en place une autre stratégie – celle de semer une piste de cailloux blancs derrière lui et Gretel. Ce plan-là marche. Cette fois-là, ils retrouvent leur maison. Mais, dans nos conversations courantes, nous ne parlons pas de cette stratégie. Notre conscience collective n’a pas choisi l’image de la “piste de cailloux bancs” comme métaphore de l‘espoir.

Alors que les miettes de pain – ce sont elles, l’équivalent des repères que nous recherchons. Parce que nous ne pensons pas à elles pour l’échec qu’elles ont été. Nous pensons à elles pour le sauvetage qu’elles pourraient devenir, les outils d’un plan qui pourrait marcher. Et ce “pourrait” est puissant. Sa puissance – c’est l’espoir.

Aujourd’hui, qu’elles soient jouées dans des théâtres ou en attente de lecture sur des étagères, beaucoup d’histoires pour enfants semblent fabriquées à partir de cailloux blancs. Elles se présentent à leur jeune public au début d’un voyage, elles sèment leurs prudents cailloux blancs tout au long du voyage, et quand le voyage s’achève (pile comme promis, pile comme personne n’en a jamais douté une seconde) elles les suivent pour rentrer à la maison.

Le voyage, c’est le voyage. Les envolées imaginaires des artistes sont les envolées imaginaires des artistes – elles, nous n’avons pas le droit de les questionner. Mais le choix du matériau – l’avenir décisif assuré par les cailloux blancs, leur garantie de sécurité, leur évitement du risque – cela mérite qu’on s’arrête pour y réfléchir

Parce que le monde n’est pas nécessairement ainsi. Ou bien, et c’est sans doute plus important, alors qu’il peut être ainsi pour moi, il peut très simplement ne pas l’être pour vous. Placer une œuvre d’art face à un vaste et large public d’enfants et d’adultes qui les accompagnent garantit une grande diversité de perspectives : de vies vécues, de circonstances connues, de rigidités psychologiques que chaque enfant n’a pas déposées poliment à la porte du théâtre en entrant, mais qu’il ou elle emporte dans la salle, assoit sur ses genoux, attrape pour servir de jumelles à travers lesquelles il ou elle regarde la pièce qui se joue, l’œuvre d’art que vous ou moi avons créée pour elle, pour lui, pour iels.

Puisque nous ne pouvons pas parler au nom de chacune de ces personnalités, le respect nous impose de ne parler pour personne. Nous devons fabriquer une histoire pleine de variables, de risques et de réconfort, de ponts bancals, de tours qui émergent, de cœurs qui consolent et de clairières bucoliques, de cours d’écoles remplies d’amis et d’ennemis, de conversations à table, pendant le dîner, imprégnées de savoir et d’ignorance, de bons matins et de mauvais matins, de ciels dégagés et de ciels nuageux, de routes pleines de sens qui divergent, de vents dingues et de miettes de pain. Parce que, ce paysage complexe, c’est là que l’espoir réside.

Quand je réfléchis aux créations jeune public les plus respectables et les plus satisfaisantes que j’ai vues, elles ont en commun que ceux et celles qui déroulent leur vie sur scène ont la malchance qu’on ne leur fournisse pas de voyages clairement marqués. En même temps, ils et elles ont la chance qu’on ne leur fournisse pas de voyages clairement marqués. Pour que ce qu’il leur reste, ce soit l’espoir.

Aujourd’hui, là, maintenant, l’espoir, c’est cela dont nous avons besoin. Aujourd’hui, nous nous barricadons – aux limites de nos pays, à l’intérieur de nos esprits. Nous prenons des décisions dures à propos de frontières dures, le cœur dur. Lorsqu’une société fait ce choix, elle peut lentement (si lentement qu’elle ne le remarque même pas) devenir malsaine. Or c’est sur cette dégradation glaciale de notre empathie que l’art, je pense, a un pouvoir, même si c’est à petite échelle.

Parce que dans sa forme la plus basique, une pièce ou une histoire nous propose toujours de faire l’exercice de nous glisser dans la peau de quelqu’un d’autre. Pour une étrange raison humaine que les gens intelligents comprennent, et moi pas, nous savons cela de façon innée, c’est inscrit de façon si profonde en nous que cela dépasse préjugés personnels ou naïveté enfantine – si la proposition est assez bien construite, le jeune spectateur ou la jeune spectatrice qui va au théâtre pour la première fois saura quoi faire. Plus important encore : même les cyniques les plus endurci.es sauront quoi ressentir.

C’est là que l’expérience se charge d’espoir et fait un pas progressif vers ce que chaque personne chérit activement, à mon avis, ou aspire secrètement de posséder – le sentiment d’appartenance à une communauté. Ce que le théâtre réussit vraiment à faire, c’est de nous impliquer dans les prémisses fondatrices et pleines d’espoir de ce sentiment d’appartenance à une communauté : beaucoup de gens qui s’intéressent à la même chose, au même moment.

D’autres recherches mènent à cela aussi, bien sûr – comme le sport, avec un grand succès. Mais dans mon esprit, la différence c’est que se tenir debout dans un stade, c’est un investissement partagé dans des gens dont le talent éclipse le vôtre. Le rôle d’un athlète, c’est d’être le meilleur dans quelque chose, et ce qui nous émerveille, c’est le super humain. Tandis que s’asseoir dans un théâtre, c’est un investissement partagé dans des gens ordinaires, placés dans des situations complexes. Ce qui nous émerveille alors, c’est la super humanité.

Pour une jeune personne assise dans un théâtre, cette histoire peut avoir agir comme l’une des miettes de pain formatrices d’une longue piste pleine d’espoir qui chemine à travers la forêt de la vie. Les oiseaux peuvent venir. La piste peut se révéler moins linéaire qu’on l’avait imaginée. Par moments, les bois peuvent devenir menaçants et les ombres, s’allonger. Mais toutes ces choses sont extérieures. Ce qui compte vraiment, dans la capacité à faire face à une pièce, dans la capacité à faire face à la vie, c’est à l’intérieur de nous :  la détermination, la résilience, l’amour, l’empathie et l’espoir que ressent cet·te enfant, et finalement, l’adulte qu’il ou elle devient.

J’écris beaucoup à propos de l’espoir, dans les pièces que j’essaie de créer pour le jeune public comme pour les plus vieux.

Dans l’une d’elles, Simon Ives mène la vie trop remplie d’un enfant de douze-ans-et-un-peu-plus et il rêve d’un moment de calme. Pendant ce temps, à l’autre bout de l’univers, le Garçon au Bord de Tout vit dans la solitude la plus totale et il rêve du contraire : d’une communauté avec laquelle nouer des liens, d’une population dont il pourrait faire partie. Quand tous les deux ont l’occasion de se rencontrer (grâce à un cabanon de feux d’artifice qui explose, Simon est lancé dans l’espace), le Garçon au Bord de Tout lui explique que parmi ce tout, parmi toutes les planètes qui existent, il a choisi de passer les quelques derniers millions d’années à se concentrer sur la Terre, pour une raison très simple :

Je l’ai vue arriver, Simon Ives, pendant un millénaire où j’étais sur le toit. J’ai vu les gaz et les éléments chimiques fusionner, j’ai vu les forces réunir les choses. J’ai vu pas mal de planètes se créer, depuis toutes ces années, mais celle-là – elle m’a tapé dans l’œil. Elle avait l’air si… pleine d’espoir. Elle voulait fonctionner. Alors, après ça, j’ai gardé un œil sur elle, tous les quelques siècles.

Les montagnes et les vallées se sont rapidement formées – l’eau a trouvé son chemin à travers la pierre, les plantes ont trouvé leur chemin à travers l’eau , ont poussé et sont devenues des terres. Et les forêts ! Eles étaient magnifiques. Des choses ont commencé à bouger à la surface, des choses qui ont pris des formes très variées (as-tu déjà vu une girafe ? ce truc est hilarant !) Les dinosaures sont arrivés – ils étaient grands. Les vôtres – le commencement des vôtres – sont apparus. Et eux aussi avaient de l’espoir, eux aussi !

Ils ont commencé dans le froid mais ils ont vite trouvé le feu. Le feu a fondu les choses en lames, les lames ont coupé du bois, le bois a fait des structures, les structures ont créé des abris, les abris ont contenu des fermiers qui ont dit aux terres quoi devenir, et des enseignant.es qui ont dit aux enfants ce qu’ils et elles pouvaient être – et qui leur ont transmis l’espoir !

Et les enfants sont devenus adultes… et les espoirs sont devenus des réalités ! J’ai vu des barrages et des ponts, des gratte-ciels et des avions et… ces petits écrans qui… qui peuvent te voir dire bonjour à un endroit – et qui te montrent en train de dire bonjour, ailleurs. Entre des gens qui… qui peuvent être très éloignés l’un de l’autre (au bord de tout, genre) et se sentir quand même connectés. S’ils le veulent. Quand ils étaient prêts à ça.

Cette petite planète bleue et verte. Avec tous ces gens. Tout cet espoir.

Ces gens éloignés te manquent, Simon Ives, parce que tu les as perdus. Mais moi aussi, ils me manquent… Parce que je n’ai jamais pu les rencontrer.“

Ce monologue lance un arc très littéral par-dessus notre propre évolution, et celle de la Terre sous nos pieds, qui appelle l’énergie de cette évolution : espoir. Plus largement que cela, je crois que tout ce que j’écris, et finalement toutes nos créations artistiques sont un exercice existentiel d’espoir, intentionnellement ou non.

Parce que nous ne pouvons pas faire de l’art sans reconnaître l’état du monde. Oui, nous ne pouvons pas exister dans ce monde sans reconnaître son état. Nous sommes le produit d’un moment culturel dans le temps, à un endroit du monde, à un siège autour de la table du dîner, avec sa biologie propre. La vie qui nous entoure, qui entoure nos communautés, ses hauts et ses bas, tout s’est tissé dans la plus grande proximité au cœur de l’étoffe de ce que nous créons.

Et la vie qui entoure le public colorera leur perception de façon tout aussi proche et nous informera sur le type d’espoir avec lequel ils et elles sont entré·es dans la salle. Ce soir-là, si, pour une raison quelconque, le monde à l’extérieur du théâtre ressemble à une forêt menaçante pour un.e enfant, et que le monde sur scène, en comparaison, semble un foyer chaleureux, le public espèrera un échange – pour que l’un annule l’autre, pendant une petite heure d’oubli.

Mais si c’est le monde en dehors du théâtre qui représente pour cet.te enfant en particulier le foyer chaleureux, et si c’est l’histoire sur scène qui est une tragédie, le public espèrera plus encore de ce qu’il a. Plein d’empathie – car les gens sont vraiment plutôt bons – il espèrera que les protagonistes de la pièce connaîtront eux aussi cette chaleur. Il réalisera la chance qu’il a dans la vie et croisera les doigts pour que les personnages du spectacle finissent par connaître cette chance, eux aussi.

C’est là le point crucial du fabuleux investissement entre le créateur et le spectateur. Un public qui assiste à une pièce bien écrite finira par espérer – pour le bien des personnages fictifs, qu’il ne connaît que depuis quelques minutes – que les oiseaux ne viennent pas. Que les miettes de pain restent pile là où elles sont.

Et même s’il connaît l’histoire, même si ce qu’il regarde n’est qu’une nouvelle façon de raconter de vieilles ficelles, le public espèrera que les oiseaux ne viennent pas, cette fois. Et s’ils viennent, le public espèrera que la suite se passera mieux que la version précédente dont il se souvient. Et ainsi de suite et ainsi de suite et ainsi de suite, grâce à l’espoir.

Un public d’enfants qu’on respecte, à qui l’on donne la permission d’agir comme il le souhaite, qui a reçu non la sécurité des cailloux blancs, mais des miettes de pain imparfaites, fugaces et éphémères (visibles du ciel, succulentes pour les oiseaux), ce public peut, si on lui fait confiance, accomplir des choses merveilleuses. Ou des choses terribles. Ou tout ce qu’il souhaite. Car en vérité, nous n’espérons pas seulement que l’enfant qui regarde ne devienne pas la victime d’émotions complexes. Mais aussi qu’elles n’en deviennent pas porteuses.

Un dernier aspect de l’espoir dont je veux discuter, et qui nous renvoie à Hansel et Gretel et à leur plan, que ce soit avec des cailloux ou des miettes, c’est l’idée fausse et trop répandue aujourd’hui selon laquelle l’espoir ne se rapporte qu’à quelque chose situé devant nous. Bien sûr, l’acte d’espérer – la notion de quelque chose qui nous attend à l’horizon – suggère une rencontre future. Mais la chose rencontrée (trouvée, atteinte, dont on est tombé.e amoureux.se) peut en fait faire partie du passé, ou se trouver ici et maintenant. Notre espérance peut naître du passé et du présent, autant que de l’avenir.

Et je dis cela parce qu’il est si facile et si courant de tendre à. D’aspirer à une plus grande richesse, un âge plus sage, un nouvel amour à courtiser, un nouveau soi-même à devenir. Mais la vérité, c’est que nos épiphanies, si nombreuses soient-elles, que nous les ayons espérées ou que nous ayons trébuché dessus, s’avèrent détenir une valeur non pas nouvelle mais rétrospective.

Hansel et Gretel, nos protagonistes chargés de pain, rêvent un rêve qui ne se trouve pas devant eux, mais derrière eux – le rêve de rentrer à la maison.

Tant d’œuvres pour les enfants sont consacrées à l’idée d’aspiration. Elles invitent le jeune public à espérer, oui, mais à ne diriger cet espoir que vers l’avant, que vers une chose qu’on n’a pas encore atteinte, une chose qu’ils et elles deviendront, un jour.

Et ce n’est pas seulement au théâtre : dans la vie aussi, chaque fois que nous suggérons que l’importance d’un·e enfant est en développement, par opposition à celle d’ici et maintenant.

L’enfant est pensé·e comme un·e futur·e citoyen·ne accompli·e, comme futur membre du public – comme s’il ou elle n’occupait pas déjà activement un siège, dans un théâtre, à cette seconde même.

On demande bien trop souvent à un enfant : “Qu’est-ce que tu veux devenir plus tard ?” Mais un enfant – l’enfant que je me souviens avoir été, l’enfant que j’élève aujourd’hui, que j’aime et donc que j’observe de plus près – ne consacre pas trop de temps à cela. Il existe (tout comme j’existais) amplement dans l’ici et le maintenant, parfois dans la vie à venir, mais souvent aussi dans les choses qui ont été. Et ses espoirs en témoignent.

Il espère une variable à ce moment-même, comme un petit brin de soleil pour s’allonger dans le hamac et lire des livres, ou comme un copain qui passerait à l’improviste pour jouer. Il espère quelque chose dans un futur lointain : comme conduire une voiture un jour ou se laisser pousser la barbe ou rencontrer un robot. Et il espère des choses fermement ancrées dans le passé : comme revoir un proche bien-aimé ou retourner dans un endroit dont il se souvient avec tendresse.

Bien qu’il n’ait que 6 ans, cet enfant a acquis une assez bonne idée du temps et de comment il passe. Mais cela ne veut pas du tout dire qu’il respecte cela. Certains jours, il aimerait juste remonter le temps pour revoir les choses qui lui manquent. D’autres jours, il souhaiterait prolonger un bon moment, ou en sauter par-dessus un mauvais. Certains jours, il voudrait déjà être un homme. D’autres jours, il adore être un enfant. Certains jours, il raconte ses souvenirs de quand il était bébé. D’autres jours, il refuse de croire qu’il a été aussi petit.

Comme beaucoup d’enfants, il aime autant les dinosaures que les hoverboards. Il sait que l’un a disparu et que l’autre est un prototype, mais pour lui, ce ne sont pas des états si sauvagement divergents. Ce sont deux choses hors de sa portée immédiate, mais tout autant excitantes er porteuses d’espoir.

Le passé, apprend-il, est aussi subjectif et imaginaire que le futur. Il change de forme, en fonction de ce que nous ressentons au moment où nous le considérons.

J’ajouterai une fin à ma fin, un court épilogue, en disant que cette causerie n’est pas juste une histoire – d’ailleurs, aucune histoire n’est jamais juste une histoire.

Sans vouloir vous ennuyer avec des détails, il y a deux ans, ma famille et moi avons déménagé. Après 15 ans passés à grandir séparément à Adélaïde, puis 15 autres passés à grandir ensemble en Tasmanie, ma femme Essie et moi avons senti qu’il était temps de boucler la boucle et de rentrer chez nous.

Alors, suivre les miettes de pain jusqu’à des seuils familiers et familiaux porte le poids réconfortant de l’autobiographie. Mais ce que le récit de la vie réelle révèle, et que les contes de fées ne disent peut-être pas, c’est que les bois sauvages ne sont pas nécessairement de mauvais endroits. Ce sont le plus souvent des lieux merveilleux, que seule leur ambiguïté rend effrayants, des lieux dont la découverte est un plaisir – lieux de vie, d’amour, d’aventure, de risque et de récompense.

Leurs ombres longues nous intimident quand nous y pénétrons, mais elles doivent le faire. S’ils nous prévenaient de ce qu’ils cachent, alors ce ne seraient pas des bois sauvages, mais quelque chose de plus sûr, un espace ouvert et plat, un paysage de cailloux blancs, peut-être.

Ce que les grands conteurs et conteuses du grand folklore savaient, et ont essayé de nous dire maintes et maintes fois (depuis que les enfants se sont assis dans les théâtres, depuis que les clans se sont assis autour d’un feu), c’est que nous avons besoin des deux : du foyer confortable et des bois sauvages. Nous avons besoin de risque autant que de réassurance, le temps de nous élever, et le temps d’être brave, et enfin le temps d’être calme.

Et si nous savions que nous décrivons juste un cercle quand nous partons (si la fin était garantie dès le début, les cailloux blancs nous rappelant déjà à la maison avant même que nous nous disions vraiment partis), alors le voyage dans le monde sauvage ne serait pas vraiment ce qu’il est. Et le plaisir du retour final n’existerait pas vraiment non plus.

Si nous pouvons entrer en trépidant dans les bois sauvages, même seul.e, s’il le faut, ou en serrant la main d’un·e autre si nous avons de la chance – si nous semons des miettes d’espoir derrière nous, sans présumer d’être plus sage que le destin, sans présumer de contrôler les oiseaux et leur appétit, ni les cieux, ni les saisons, ni les courants ou les années, alors nous sommes vraiment aventureux·ses.

Et un jour, nous reviendrons de notre propre gré, avec une voix plus profonde et un esprit plus calme, avec un amour riche de nombreuses années et un enfant qui n’en connaît que les premières. Et des histoires à raconter. Et des histoires à écouter. Pour moi, c’est un immense plaisir, et très actuel. Cet enfant est l’enfant du risque, des miettes de pain et, plus que tout, l’enfant de l’espoir.

Et pour moi, que ce soit une histoire à raconter au théâtre, ou une vie à vivre dans le monde réel, c’est la bonne.

Irlandais d’origine, Finegan Kruckemeyer vit depuis son enfance en Australie. Auteur d’une centaine de pièces de théâtre traduites en huit langues, il a aussi écrit pour l’ASSITEJ et ITYARN “Le tabou de la tristesse : pourquoi avons-nous peur de laisser les enfants avoir peur ?“.