La lettre de Robin Renucci

25 juillet 2017
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Le 20 juillet 2017, Robin Renucci, Directeur des Tréteaux de France, Centre dramatique national, et ardent promoteur du spectacle jeune public, adressait la lettre suivante au Haut Conseil pour l’Education Artistique et Culturelle (HCEAC). Un propos qu’il a pu développer lors de la rencontre “L’éducation artistique et culturelle : et maintenant ?” – rencontre organisée par le Collectif Pour l’éducation par l’art, à Avignon, dans le cadre de “Avignon, enfants à l’honneur”.

Au Haut-Conseil pour l’Education artistique et culturelle

Réunion du 20 juillet 2017

L’’éducation artistique arrive à la croisée des chemins. Jamais en quatre décennies d’expérimentations et de débats elle n’avait suscité autant de colloques passionnés, justifié autant d’ouvrages savants, motivé autant de textes juridiques qu’au cours des dernières années. Elle est entrée dans la loi de « refondation de l’école de la République » et dans la loi sur la liberté de création, le patrimoine et l’architecture, a inspiré des dispositions de la loi portant « nouvelle organisation territoriale de la République », a bénéficié d’une charte, d’une feuille de route interministérielle, de guides et de circulaires pour la définir et l’encadrer, mais surtout pour la développer.

En effet l’unanimité s’est faite sur sa nécessité, mais aussi sur le constat qu’elle ne touche encore qu’une petite minorité des élèves et étudiants du pays. De nouveau les campagnes électorales de 2017 ont résonné de vertueuses déclarations d’intention à son sujet. L’engagement a été pris par le président Macron, au premier rang de ses propositions sur la culture, de permettre à tous les enfants et adolescents d’en vivre l’expérience. Il semblerait que cette volonté n’attende plus pour se concrétiser que des moyens budgétaires à la mesure de l’enjeu et des méthodes de coopération adéquates entre les collectivités publiques concernées.

L’éducation artistique se voit pourtant contestée dans ses fondements – le partenariat entre artistes et enseignants (avec souvent le concours de médiateurs) autour d’un projet de réalisation pratique qui favorise la rencontre avec les œuvres et mobilise des connaissances de diverses disciplines – par des conceptions qui en contestent la portée pédagogique, en minimisent la dimension pratique, ou bien en méconnaissent la dimension symbolique.

D’abord, de nombreux tenants des fondamentaux la dédaignent car ils omettent que la faculté de dire, de ressentir, de se situer par rapport aux autres et vis-à-vis du monde fait partie du socle de connaissances, de compétences et d’aptitudes sur lequel un jeune doit s’appuyer pour s’orienter, au même titre que lire, écrire et compter. D’autre part, au nom de l’indispensable transmission des savoirs, les défenseurs de l’histoire des arts sous-estiment l’importance des ateliers au cours desquels les élèves éprouvent de manière sensible les langages de ces arts en commençant par s’y initier. Enfin, certains promoteurs de l’improvisation (dont personne ne conteste le rôle qu’elle joue dans le processus créatif), qui érigent en modèles les vedettes de la stand up comedy et d’autres formes de divertissement médiatisé, semblent se satisfaire d’une expression des élèves qui ferait l’économie de la distance critique et de l’effort de symbolisation.

Une éducation artistique et culturelle répondant aux criants besoins de la jeunesse en ce domaine ne saurait se passer des atouts dont ces décennies de patiente élaboration l’ont dotée en France : la centralité d’un projet conçu, conduit, évalué en bonne intelligence entre enseignants, artistes et le cas échéant médiateurs, dont la dynamique implique les élèves et entraîne l’ensemble d’une communauté pédagogique, parents compris. Des études de plus en plus nombreuses attestent les effets positifs de telles expériences du point de vue des individus comme de la classe tout entière, notamment en ce qui concerne la motivation et la concentration des élèves, qu’il s’agisse de musique, d’arts plastiques, de cinéma, de théâtre, de danse ou d’arts du cirque.

Encore faut-il réunir les conditions pour que ces expériences esthétiques se multiplient à toutes étapes d’un parcours d’éducation artistique et culturelle, de la maternelle à l’université. Cela requiert un réel élan budgétaire, auquel les ministères concernés doivent contribuer à proportion de leurs moyens. Cela nécessite un effort de formation, tant initiale que continue, des futurs enseignants dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ) et des futurs artistes dans leurs filières professionnelles. Cela réclame un effort sans précédent de coordination de la ressource intellectuelle et de la documentation pédagogique, tant physique que numérique. Cela suppose des locaux adaptés aux différentes pratiques artistiques et, surtout, des temps réservés à celles-ci dans les programmes scolaires de chaque cycle.

Enfin, s’il n’est pas impudent à un artiste de le rappeler, cela impose aux pouvoirs publics de tous niveaux une coopération systématique et régulière, qui dépasse la rédaction d’un protocole d’accord ou la réalisation d’une opération de communication, afin qu’aucun établissement scolaire ne soit délaissé, ni en zone rurale ni en en zone périurbaine, et qu’à terme aucun élève ne soit privé de la chance d’accorder, à travers les arts, ses émotions et sa raison.

Je forme le vœu que le Haut-Conseil devienne la chambre aux échos de ces attentes et une source de propositions concrètes pour en hâter la satisfaction.